jeudi 10 décembre 2009

Du rififi à la zonzon...


Le sentiment d'humiliation, les petites hontes de la vie quotidienne, celles qui vous font rougir de bon matin, ou courber l'échine à la lumière déclinante...

Quelques années en arrière, je me revois faire des combats d'histoires les plus honteuses avec mes amies... A blaguer de ces moments de gêne qu'on aimerait plutôt oublier à jamais...

Pour ma part, j'ai toujours eu le sentiment qu'il fallait exorciser pour dépasser, rire pour pouvoir mieux le vivre...

Ne pas chercher à oublier, cela n'arrivera pas... Alors pourquoi ne pas transformer ces moments où l'on plisse fort les yeux, où le visage rentre dans le cou et où nos pas ne résonnent plus, collés comme nous sommes au mur!

Je me rappelle les histoires de mes amies, ces histoires de honte féminine (ragnagna dans un pantalon blanc ou l'incontournable jupe coincée dans le collant au sortir des toilettes), ces histoires de gêne diffuse, ces instants appelés si justement les Grands Moments de Solitude...
Avec pour défi justement de partager cette solitude, de se rappeler toutes ces fois où l'on s'est senti en dehors de son corps devant les regards hilares des autres, se rappeler la douleur et ... rire très fort à son tour!

Se rendre compte aux rires des amies que notre honte est la gagnante du concours, se valoriser d'avoir vécu une chose aussi gênante! Juste de quoi transformer la douleur en premier prix, oscarisée, césarisée, la palme du "tapage d'affiche"...

Ces Grands Moments de Solitude sont une sorte de rendez-vous quotidien dans ma vie... Et il est temps pour moi de les partager au fur et à mesure des reviviscences.

Par quel moment introduire mon propos ? Quel sentiment de gêne choisir parmi le panel disponible de mes souvenirs...

Tiens ! Pourquoi pas ce jour là... Ni trop proche, ni trop lointain... Assez loin pour en rire, assez proche pour revivre les détails...

Ce jour là est représentatif par excellence du sentiment de solitude alors même que vous êtes entourés de beaucoup de personnes, du sentiment de ne plus être dans son corps, de voir la scène de haut et de ne plus oser faire un geste de peur que les rires reprennent de plus belle...

Plantage du décor : Col roulé, pantalon noir, talons, je marche dans l'allée qui me conduit à la prison pour faire une intervention devant des détenus -d'où le col roulé en fait-

Je rejoins ma collègue devant le portique de sécurité.
(Sont pas très souriants les gardiens de la Zonzon.)
Elle passe.
Je passe.
Je sonne.
Je m'y étais déjà préparée, je sonne toujours et sans raison dans ces maudites machines... Sauf qu'en principe, je sonne une fois, deux fois et je passe avec un sourire triomphant...

Aujourd'hui, je vais sonner une quarantaine de fois... Suffisamment longtemps pour voir défiler tout l'effectif de la prison (heure du changement de garde ?), suffisamment longtemps pour voir s'engouffrer dans la pièce une vingtaine de matons ravis de voir une jeune femme faire mille aller-retour, les joues de plus en plus rouges et gonflées par la lassitude...

Ma collègue me regarde ahurie et chacun y va de son petit conseil et de son petit rire gras:
"En pas chassé, Mademoiselle", "Plus vite", "Moins vite alors", "Enlevez vos chaussures s'il vous plaît", "Recommencez en pas chassé mais plus sur votre droite", "Et si vous le tentiez en moonwalk ?"...

Le cœur battant plus fort que jamais, j'envoie à ma collègue ce regard de lapin affolé, les rires gras s'amplifiant, je quitte mon corps...
Je me vois pieds nus, en pas chassé, défiler dans ce portique de sécurité, au ralenti, en courant, sur la droite, sur la gauche, tirant la langue et soufflant fort...
Je vois la ribambelle de surveillants se gratter les cheveux, se gratter le nez, se gratter la barbe, les pouces sur la ceinture, la main contre la matraque, et ça sonne et ça sonne en harmonie avec les éclats de voix et de rire...
J'ai perdu mon semblant de prestance, je ne ris plus du tout, je n'ai plus d'humour pour l'heure.. (Ils rigolent bien les gardiens de la Zonzon maintenant.)

Moment de flou... Le portique n'a pas sonné depuis 4 secondes. Je réintègre mon corps aussi vite que mes chaussures. Les gardiens sortent, ma collègue m'attrape le bras et je ne sais plus trop pour quelle raison je viens de m'humilier en public... On me paye pour ça ?

Ils nous ont baladé dans l'enceinte de la prison -comme si ça faisait pas suffisamment peur comme ça-, ils nous ont envoyé au mauvais endroit, ils n'ont pas su vers qui nous diriger...
(Sont coquins les gardiens de la Zonzon.)

Une porte se referme sur nous, des barreaux et une grille nous empêchent d'avancer. On nous indique derrière une vitre de retourner sur nos pas. Sauf que la gardienne de l'autre côté de la grosse porte ne nous voit pas.
Je tape sur la porte... Silence... Je tape plus fort, fais quelques signes à la caméra. Ma collègue s'impatiente et a déjà envie de fuir
(Ça fait toujours cet effet là, la Zonzon ?)
Je tape de plus en plus fort en faisant de grands gestes pour qu'elle me voie derrière son espèce de sas...

Ma collègue : "Bon écoute, on va les appeler".
Nouveau Grand Moment de Solitude quand on réalisera qu'on a laissé nos téléphones à l'entrée (C'est sécurisée une Zonzon)
Aucun moyen de communication, coincées derrière une grille dans une prison, je sens la rougeur regagner mes joues et mon esprit décolle encore du sol...

Plus tard, en détention, mauvaise couleur de badge, on me renvoie à l'accueil, là où le portique de sécurité me fait des clins d'œil.

Je sens qu'autant d'humiliation devra bien se payer à un moment ou à un autre...

J'essaie de garder la tête droite devant les surveillants de l'accueil qui me regardent en riant dès que j'approche ce maudit détecteur de métal.
(Commencent à me chauffer les matons de la Zonzon)

Après avoir cru que nous finirons assassiner par les 13 détenus assis autour de nous :
"C'est quoi tout ce ramdam ?" Dixit ma collègue.
"C'est quoi ça? Pourquoi vous parlez du ramadan !?"
Tempérons, tempérons... Rattrape ta conscience qui décolle de la terre ferme... Mais non, tu n'es pas seule au monde !
Les choses prirent finalement une toute autre tournure et j'assistai alors à un moment rare et délicieux : Quand la honte devient contagieuse et que notre Grand Moment de Solitude se propage à un autre individu..

Phrase choc d'un prisonnier tentant de se dépatouiller avec son dossier:
Passant devant le juge qui lui dit "Monsieur, votre sursis est une véritable Épée de Damoclès qui ne demande qu'à vous tomber sur la tête", l'individu a levé la tête vers le plafond du tribunal, sérieux et crédule, à la recherche (à droite, à gauche, derrière les moulures) de ce qu'il allait lui tomber dessus, prêt à se couvrir le haut du crâne de ses mains pour se protéger de l'objet fantôme...

Et si ça ne lui suffisait pas pour se sentir bien seul, pour sa défense, il ne trouvera que ces mots : "Je me disputais avec ma compagne, on se disputait quoi, bon elle a voulu appeler les pompiers, et elle s'est trompée,elle a fait le 17..." Aucune compassion dans les rires des co-détenus... Incarcéré pour une erreur de numéro...

Ce Grand Moment de Solitude a minimisé le mien puissance mille...

J'ai souri d'un air repu et j'ai trouvé que la honte était si douce quand elle concernait les autres. J'ai ri comme les matons ont ri de moi. J'ai ri d'être une perfide humaine...
Je me suis moquée et je me moque des hontes quotidiennes qui m'attendent encore...

Tous les jours, un Grand Moment de Solitude m'attend, que ce soit derrière un trottoir, ou une plaque d'égoût, devant un joli garçon ou un ex qu'on croise au pire moment, une phrase qu'on aurait dû ravaler, une qu'on aurait dû dire au bon moment...

Tous les jours...

De quoi préparer le Concours International du Grand Moment de Solitude...

Et ce jour là, le gagnant c'était le mec à l'Epée de Damoclès !
(Mais je tiens tout de même officiellement à remercier les matons de la Zonzon pour leur participation à mon Grand Moment de Solitude du mois...)


1 commentaire:

Anonyme a dit…

JE ne prendrai pas l'avion avec toi!!Surtout pour allez aux états uni.C'est un coup a louper son vol lol.Ils sont taquins ces matons :)Mais la question que je me pose est celle ci.devons nous nous repaitre de ces moments ou ce sont les autres qui passe par ces moments de solitude!!!
querido