mercredi 3 août 2011

Hormonez-moi ...



Il y a quelques semaines de cela, on m’a fait remarquer à juste titre que je n’avais pas composé le moindre petit tas de mots depuis 9 mois - le temps d’une gestation humaine -

Et pour autant, rien n’a grandi en moi, rien ne s’est développé, pas même un muscle.

J'étais donc bonne pour déclencher l’accouchement, bonne pour propulser de moi ce qui commençait sérieusement à s’amasser, à s’entasser, de quoi craindre l’infection, l’inflammation des tissus ou le retour imminent de mes vieux démons.

Et comme de par hasard, comme une prémonition, une extra lucidité, j’avais pris un de ces rendez-vous qui font cauchemarder plus d’une d’entre nous. Celui du tâteur de féminité, de l’écarteur de jambes fuselées. Celui de l’annihilation de toute pudeur…

Quelle meilleure idée aurais-je pu dénicher que de prendre rendez-vous avec un professionnel de l’accouchement alors même qu'aucun texte ne sortait de mes tripes ?


Sur un sourire, le malentendu est né…

Et sans le vouloir, la femme en blouse a fait sortir ma rage latente, cette amertume que j’essayais d’endormir à grands coups de cuillères à même le pot de Ben and Jerry's (le "chocolate fudge brownie" est une valeur sûre) ou de morceau de fromage croqué à pleine dent, ce spleen que je tentais de dompter à force de baisers et de doux mots d’amour…


Sur un simple sourire, elle a mis un terme à ma grossesse nerveuse et a donné vie à ces mots.

"Vous venez me voir aujourd’hui parce que vous avez décidé de faire un bébé ?!"

BLANC….

Je venais justement pour mon renouvellement de pilule ma cocotte…

Je venais justement pour pouvoir continuer à avoir une vie sans me préoccuper des conséquences, je venais justement pour avoir la paix, ne pas penser matrice, fécondation, calcul, température et les sempiternelles "oh mon dieu s’il était roux !!??"

"Mais quel âge avez-vous ?"

Sentant poindre le malaise qui gagnait la paume de mes mains, j’ai tenté le sourire de la nana avec une grosse confiance en elle (Vous voyez le genre ?) Aucun problème. Aucune culpabilité en moi.

"Vous savez que vous avez l’âge moyen du premier enfant en France ?!"

Ah oui, parlons statistiques ! C'est toujours très révélateur de ce que je n'ai vraiment pas envie de devenir.

Et elle croisa alors les mains, et elle pencha son visage sur la gauche… Et j’eus soudain hâte d’être nue, d’avoir ses mains sur mon corps, juste pour fermer les yeux, reprendre possession de la situation, entendre le claquement des gants en latex, et faire un chèque contre ordonnance... Qu'elle cesse de compatir sans raison.

"Je me dois de vous prévenir que passer un certain âge, on a beau se sentir jeune, le corps lui s’use et les ovaires sont les premiers organes à s’user… Passer un certain âge, vos ovaires meurent…"

En gros, je pourris de dedans même si de dehors je n’ai pas de rides, c'est ça ?

"Pourquoi vous n’y pensez pas ? Vous avez un compagnon ? Vous avez un travail ? Un enfant souhaite juste être aimé par des parents équilibrés. Ne pensez pas au matériel." (L'argument des parents équilibrés...)

De Dieu, elle plaide pour sa paroisse !!

Enfantez ! Enfantez !

C’est de votre âge ! Vous allez pourrir !

Et moi, comme dans un processus de deuil, je me promène dans la colère, dans le déni, je négocie avec elle, si j’attends encore deux ans, vous croyez que je serai toute pourrie en dedans ? Je marchande quelques années. J’ose croire que je ne vais pas pourrir en une nuit…

En retirant mes habits, j'ai senti la chape de plomb de la culpabilité se loger tout autour de mes cheveux, couler le long de mon échine…

Et si ? Qu’ai-je donc fait de ma vie jusqu’ici ? Et si ma mère avait raison ? Et si celle qui met mes pieds dans les étriers avait raison ? Et si c'était ma destinée ? Et si c'était maintenant ou jamais ? Et si je n'étais bonne qu’à enfanter ?

Et si je regardais les choses autrement.. Un enfant, un bébé, le tien, le mien, le notre, sur terre, sur cette terre. Maintenant ? Demain ? Avant que je ne pourrisse et que je n’ai plus que mes ovaires atrophiées sur lesquelles pleurer.


Le spleen a souri et repris peu à peu de la place, il a même bondi de joie quand achetant mes cigarettes en sortant de chez le médecin, j’ai vu cette image (de celle qu'ils veulent choc) d’une femme promenant un berceau vide ("fumer réduit la fertilité et nuit aux spermatozoïdes")

Le spleen s’est réjouit de mon appel à l’homme lui reprochant de réduire sa fertilité alors même que mes ovaires étaient en train de mourir... que je pourrissais intérieurement… et puis, et puis, et puis…


J’ai roulé vite, j’ai roulé fort, j’ai hurlé tout du long, sur lui, sur moi, sur la vie qui nous a fait nous rencontrer sur le tard...

Et soudain, au détour d’un stop, j’ai réalisé, réalisé que je le voulais, que je l’avais prononcé à voix haute, sans même le calculer, sans m’être entrainée au préalable, j’ai réalisé que j’avais trouvé celui avec lequel faire un enfant pourrait être une sacrée aventure.


Alors la rage a terrassé le spleen !

Et avec un coup d’accélérateur et le bon "SANS DÉCONNER !", j’ai décidé d’envoyer paître les discours culpabilisants. Je suis jeune, je suis fraiche, je ne me ride pas, et mes ovaires attendront bien quelques années encore, le temps de se dire qu’on ne se trompe pas, le temps de me sentir de devenir une femme pour de vrai, d'accepter l'idée de sentir un être humain en soi, d’imaginer accoucher sans avoir envie de vomir rien qu'à l'évoquer, d'admettre pouvoir avoir ce sourire de femme enceinte qu’on trouve juste cucul pour le moment…


Encore un peu de temps à grignoter sur la vie...

Avoir encore un peu l’impression que je la gère, que je fais ce que j’en veux. Et que si mes ovaires pourrissent, c’est parce que je l’aurai décidé ainsi.


Mais avouons-le, le discours marche, avouons-le! La rage, le spleen n’ont pas pu faire taire l’angoisse du temps qui avance.

Et pourtant, en quittant son bureau, j'ai ressenti cette sorte de certitude nouvelle, apparue sans aucune mise en garde.

OK madame l'étrier, tu as gagné ! Pas demain, pas l’année prochaine mais OK tu as gagné, je la veux moi aussi cette grande aventure…


Et pour la première fois de ma vie, une chose semble sûre, une seule et unique réalité, un détail presque infime mais qui ravit mon cerveau.

Parce qu’on est tous au courant maintenant, ce n’est pas tant que je suis névrosée, c’est surtout que j’aime vivre dans la difficulté…

Mais pour une fois, je sais où j’ai envie d’aller. Pas quand, ni comment, ni pourquoi mais je le sais quand même…